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« J’étais en train de leur expliquer que quand je t’ai rencontrée, tu étais la plus grande pétomane de France »

Leur divorce va bientôt souffler ses cinq bougies. Et deux fois par an, le même parcours des suppliciés. A chacun des anniversaires de leurs enfants, ils se retrouvent confinés dans le même espace, à inspirer-expirer le même air, effectuer la même valse de gestes domestiques fantômes autour de la table, comme avant, et c’est, chaque année, le même effort titanesque excavé à coups de tractopelle.
En sortant du petit supermarché, en bas de chez elle, sous la grande capuche un peu ridicule de sa cape de pluie, elle prend une minute. Elle métabolise les quelques heures qui l’attendent, les 6 ans de sa fille. Elle va devoir virevolter, sourire, produire devant les autres parents la chorégraphie de la parentalité complice par-delà les colères ravalées et les tempêtes de la déception.
Elle va chercher cette force ésotérique dans la tension musculaire qui traverse ses bras, mobilisée pour acheminer jusque chez elle les deux sacs de courses lourds de bouteilles de jus multifruits et paquets de bonbons achetés en bas dernier carat, pendant qu’il attend, là-haut avec les enfants, l’arrivée du magicien-pirate-acteur oublié.
Deuxième étage gauche, elle finit par ouvrir la porte de chez elle. Avant de la refermer, l’option fugue silencieuse sans billet retour la tente une seconde encore ; l’idée de se cogner sa gueule enténébrée pincée par la rage, elle n’a pas envie, mais pas envie. Du salon lui parvient alors le son spécifique d’une vidéo diffusée par un téléphone, des rires lointains, la vague hilare et collective qui inonde les plateaux télé et les salles de spectacle. Et des pets. Une série de longs pets sonores.
Elle entre et capte les yeux de son ancien mari, soudain rieurs, ouverts et clairs, des yeux qu’elle reconnaît, seconde 1, pour les avoir souvent croisés dans une autre vie. Ils lui envoient un message qu’elle décrypte tout de suite, seconde 2. Tandis que les enfants sont agglutinés sur l’écran de son téléphone, il lui lance un vieux truc en plastique orangé, qu’elle identifie avant de l’attraper ; le coussin péteur fatigué de son fils.
La vidéo date des années 1990, le plateau de « Nulle part ailleurs ». Antoine de Caunes présente Paul Quelque Chose, un nom parfaitement britannique, le plus grand pétomane vivant. Les enfants regardent, fascinés. Son ex-mari dit : c’est le mentor de maman. Ah voilà. Le temps d’intégrer les règles du jeu, elle dispose les assiettes en carton à pois dorés, les serviettes perroquets et palmiers, nappe en papier, blanche à gros cœurs rouges, rien ne va, rien ne s’accorde.
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